Abstracts des Interventions

Ariane Bazan:  Les processus primaires et secondaires Freudiens : la clé du dialogue ?

Quand Freud fait la distinction entre processus primaires et secondaires dans l’Esquisse, il ne s’agit pour lui pas simplement de faire une distinction entre une dynamique bottom-up (conduite par les caractéristiques du stimulus, processus primaires) et top-down (conduite par l’intention, processus secondaires), mais il s’agit, qui plus est, d’impliquer dans la dynamique d’action un troisième point ‘venant d’ailleurs’ (comme il l’écrit) permettant la distinction entre perception et imagination. Sans ce point de butée, un désir trop fort, devenu intention, guiderait l’action sans égard pour la réalité contextuelle. Ce point d’ailleurs a comme principe la prise en compte de l’effet d’un mouvement de saisie du monde, et d’abord par le regard. Si quand on change le regard, le stimulus perçu change, l’humain s’assure qu’il n’a pas entièrement défini de son désir ce stimulus et que s’il agit, il agira aussi à partir d’une réalité du monde.

Défini de cette façon, ce couple de concept processus primaires et secondaires, que l’on retrouve déjà, de façon implicite ou explicite, dans de multiples dichotomies, dont le S1-S2 de Kahneman, permet une ambition heuristique plus poussée, puisqu’au-delà de systèmes parallèles de traitement mental, il s’agit d’une dynamique, impliquant l’action du sujet dans le monde comme point de butée. Je propose qu’il permette le dialogue avec divers modèles neuroscientifiques, comme les modèles de Marc Jeannerod (dichotomie ventrale-dorsale), la différence analogique-cognitif de Jean-Pol Tassin, mais aussi avec le modèle de l’action d’Alain Berthoz.

Ce dialogue autour de ce couple de concepts est un enjeu de taille, y compris du point de vue éthique. Ni le processus primaire, ni le secondaire, tout en étant les piliers de toute pensée, ne sont en soi raisonnables. C’est peut-être la dynamique ‘sur trois points’ qui permettrait de ne pas glisser trop ou trop structurellement dans une des formes de déraison, primaire ou secondaire. La déraison primaire, la plus commune, se traduirait par la difficulté de mise à distance du stimulus, la déraison secondaire, très commune également, par la réécriture du monde de son désir, et entre ces deux déraisons l’humain balance, incertain de sa destinée.

Jean-Pol Tassin: Quelques éléments de convergence entre les Neurosciences et la Psychanalyse

Dans cette présentation, nous reviendrons sur les deux modes de fonctionnement du système nerveux central : analogique et cognitif. Le fonctionnement analogique est rapide et son codage temporel dépend de caractéristiques génétiques; il permet la formation de bassins attracteurs qui rassemblent les caractéristiques d’évènements qui ont été perçus simultanément. Le fonctionnement cognitif est lent, il dépend de l’action de neuromodulateurs -dopamine, noradrénaline, sérotonine- dont l’activité dépend de facteurs environnementaux. Il permet d’associer des évènements qui sont distants dans le temps. La combinaison de ces deux types de traitement, analogique et cognitif, permet d’envisager quelques points de convergence avec plusieurs concepts issus de la psychanalyse, tels que l’inconscient psychodynamique, la formation des rêves, le transfert ou le refoulement.

René Roussillon: Les neurosciences et les concepts fondamentaux de la pratique psychanalytique

Là où les neurosciences peuvent être le plus utile à la psychanalyse c’est dans le soutient qu’elles peuvent apporter aux fondements de la pratique psychanalytique. Car c’est bien à partir de la pratique psychanalytique que le reste de la psychanalyse s’engendre. La psychanalyse est fondée sur la méthode de l’écoute de l’associativité psychique et la règle de l’association libre qui formule la condition et l’horizon du statut du fonctionnement psychique en séance (polymorphie de l’associativité psychique et polyphonie de l’écoute). En étroite corrélation avec l’associativité psychique le transfert apparaît comme le second pilier fondamental du travail psychanalytique et il doit être lui-même articulé avec une théorie des formes de mémoire de l’expérience subjective aux différents âges de la vie, lesquelles reposent sur l’étude des modes de représentation (voire de représentance) de la vie pulsionnelle considérée comme la forme « messagère » le l’expressivité humaine.

Je propose une réflexion sur les hypothèses disponibles en neurosciences qui viennent étayées ces différents composants.

Bruno Falissard: Psychanalyse et neurosciences : la possibilité d’une vraie rencontre arrive enfin.

Les tentatives de rapprochement entre psychanalyse et neurosciences ne datent pas d’hier. On pourrait même dire que les premiers travaux de Freud en revendiquent la possibilité. Et pourtant, jusqu’à très récemment ces tentatives « sonnaient faux » et ce pour une raison assez simple : la psychanalyse propose une vision globale du fonctionnement psychique humain alors que les neurosciences en proposent une vision locale. Des travaux récents issus de l’informatique (réseaux de neurones) ou des sciences cognitives (Energie libre) font intervenir des considérations de thermodynamique statistique susceptibles de faire basculer la perspective locale des neurosciences cognitivies en une perspective globale. Le dialogue est donc maintenant épistémologiquement possible. Le champ des questions qui s’ouvre de la sorte est immense. Il interroge au premier chef la psychanalyse tant au niverau de ses concepts (topiques) que de ses présupposés (importance de la sexualité). Il lui offre aussi et surtout l’opportunité de se renouveler à un moment où elle en a bien besoin.  

Thomas Rabeyron: Pratiques psychanalytiques et principe de l’énergie libre

Cet exposé proposera une tentative de modélisation des composantes fondamentales des pratiques psychanalytiques articulées aux théories contemporaines du cerveau bayésien et du principe de l’énergie libre (FEP). Nous verrons ainsi comment les pratiques psychanalytiques nécessitent un cadre (composé de plusieurs enveloppes), un état psychique particulier et des processus spécifiques (transfert, association libre, rêve, jeu, réflexivité et narrativité) en vue de produire des transformations psychiques. Nous étudierons alors comment ces différents éléments peuvent être abordés du point de vue du principe de l’énergie libre. Cela nous conduira plus spécifiquement à aborder les processus thérapeutiques du point de vue de leur caractère non linéaire selon une alternance entre extension et réduction de l’énergie libre. Ces processus favorisent alors l’émergence de nouvelles configurations de l’expérience subjective associée à des états chaotiques à « haute entropie ».

David Rudrauf: La pulsion: l’action de la minimisation d’une énergie libre sur les transformations projectives au cœur de la cognition spatiale?  

La pulsion est un concept central dont les mécanismes restent à élucider. Leur formulation scientifique, et plus généralement celle de la métapsychologie, impliquent un travail de modélisation mathématique, des simulations et des méthodes de validation expérimentales. Le Modèle de la Conscience Projective part de considérations phénoménologiques et fonctionnelles pour développer une telle approche. Il place la cognition spatiale, et plus spécifiquement une perspective subjective, au coeur des processus cybernétiques intégrant l’information pour le contrôle du comportement. Il combine inférence active, minimisation d’une énergie libre et géométrie projective. Le modèle rend compte d’un large spectre de phénomène psychologiques, d’illusions perceptuelles classiques à l’émergence de comportements sociaux adaptatifs et mal-adaptatifs caractéristiques du développement humain. Il implique aussi des mécanismes motivationnels suggérant une conceptualisation originale du concept de pulsion. Nous introduirons le modèle, en démontrerons certaines propriétés remarquables avec des exemples d’applications en réalité virtuelle et en robotique sociale, et nous pencherons sur ce qu’il dit du concept de pulsion. Sous les contraintes du modèle, la pulsion apparaît comme un processus de minimisation d’une énergie libre agissant sur le choix de transformations projectives simulant et anticipant de manière imaginaire des comportements d’approche et d’évitement, sous-tendus par des motifs à la fois d’utilité affective et épistémiques. Nous conclurons en faisant des liens entre le modèle et certains concepts chez Lacan, notamment le Graphe du désir.

Mark Solms: Does neuroscience have any thing to teach us about Freudian dream theory? 

Many psychoanalysts reject the idea that neuroscience can contribute to the development of metapsychology. In this paper, I will present evidence for and against this view. Starting with neuroscientific studies that accumulated between the 1950s and 1980s, I will show how neuroscientific findings were used to undermine the scientific validity of Freudian dream theory. Then I will survey subsequent studies, conducted from the 1990s to the present, which seem to support the scientific validity of the theory once more.

De nombreux psychanalystes rejettent l’idée que les neurosciences puissent contribuer au développement de la métapsychologie. Dans cette intervention, je présenterai des preuves pour et contre ce point de vue. En partant des études neuroscientifiques qui se sont accumulées entre les années 1950 et 1980, je montrerai comment les découvertes neuroscientifiques ont été utilisées pour saper la validité scientifique de la théorie freudienne du rêve. Ensuite, je passerai en revue les études ultérieures, menées des années 1990 à nos jours, qui semblent étayer une fois de plus la validité scientifique de la théorie.

Perrine Ruby: Le rêve sondé par les neurosciences et la psychologie expérimentale

Le rêve est un objet de recherche insaisissable. On ne sait pas à quel moment de notre sommeil les rêves surviennent, ils sont incontrôlables et leurs contenus imprévisibles ne sont accessibles que par un souvenir évanescent au réveil. Malgré ces difficultés, des chercheuses et chercheurs ont trouvé des astuces pour étudier le contenu et la neurophysiologie du rêve. Les bases neurophysiologiques, l’organisation psychologique, l’impact sur la vie éveillée, et la ou les fonctions du rêve se précisent ainsi, même si le mystère n’est pas encore élucidé.

Alain Berthoz : Le cerveau projectif: rôle de l’inhibition dans la vicariance et la créativité. Une critique de la notion de processus « primaires et secondaires »

De nombreuses théories sur le fonctionnement du cerveau et ses relations avec le monde ont proposé qu’il y aurait deux, ou parfois trois, niveaux, l’un quasi-automatique, inconscient, réactif etc., et l’autre plus élaboré mettant en jeu la réflexion et des processus complexes de perception, de décision, de prise en compte du passé et du futur etc. Moi-même, dans notre travail avec Bérangère Thirioux et le regretté Gérard Jorland sur l’empathie[1], j’ai proposé de reprendre la distinction des philosophes allemands entre sympathie et empathie. On doit à Joseph Ledoux aussi des travaux pionniers sur les deux systèmes (rapide automatique sous cortical et lent cortical) pour la peur. Olivier Houdé a adopté cette conception duale par l’intervention de l’inhibition comme moyen d’arbitrage entre processus « heuristiques» et « algorithmiques ». Récemment Daniel Kahneman a utilisé cette littérature pour proposer aussi une généralisation à deux niveaux pour les comportements sociaux. Enfin on trouve dans des travaux discutés par Ariane Bazan, avec beaucoup de discernement, et de discussion sur les théories de Freud et leur rapport avec les données modernes, la distinction entre processus « primaires » et « secondaires ». Je voudrais ici proposer, avec prudence bien sur car nous sommes loin de comprendre, que cette distinction est trop simpliste et, dans le cadre de ma théorie de la simplexité[2] .

Je propose au débat qu’en réalité il faut replacer notre réflexion dans un cadre de l’Evolution qui a doté le cerveau de processsus prédictifs[3] et d’une multiplicité de processus imbriqués de façon hiérarchique mais aussi hétérarchique. Il dispose aussi , une multiplicité de mécanismes inhibiteurs[4] qui sont toujours en coopération ou compétition avec tous les mécanismes excitateurs.  C‘est cette formidable diversité qui permet la vicariance[5], la créativité et les « libertés de l’improbable »[6]. Notre cerveau est essentiellement formé d’oscillateurs qui assurent une continuité dynamique d’interactions basées sur des équilibres et déséquilibres entre réseaux oscillateurs d’excitation et d’inhibition, avec de multiples niveaux de processus conscients (voir p. ex. Semir Zeki). Cette forme originale de continuité/discontinuité dynamique  (Le neurobiologiste R. Llinas parlait de « The discontinuous nature of movement »), et les transitions qu’elle entraine, crée des évènements, des ruptures, créent une « société » neurale, plus dynamique encore qu’une « mosaïque discrète »[7](p.ex. nos géométries du cerveau n’ont pas de points et ne sont pas seulement Euclidiennes[8]). Cela nous confère une flexibilité remarquable qui est aussi  un des fondements de la tolérance.

[1] Berthoz, A., Jorland, G. (2005) : « L’empathie », Odile Jacob, Paris, pp.308. Berthoz A. and Thirioux B.:(2010)A spatial and perspective change theory of the difference between sympathy and empathy”. Paragrana 2010 .

[2]Berthoz, A. (2009) : « La simplexité ». O. Jacob, 2009, Paris, 256 p. Trad. « Simplexity ». Yale Univ Press. Trad. Ital. « Simplessita »  Codice. PETIT JL BERTHOZ A. ( Eds) ( 2014)  Complexité simplexité . ED du Collège de France. Voir aussi Berthoz, A., Petit, J.-L. (2006) : « Physiologie de l’action et Phénoménologie », Odile Jacob, Paris, pp.368. Trad: “The Physiology and Phenomenology of Action”, trad. C.McCann, Oxford University Press, pp.288.

[3] Berthoz, A. (1997) : « Le Sens du Mouvement ». Odile Jacob, Paris, pp.345. Trad “The brain sense of movement “Harvard Univ Press. “Il senso di movimiento”. Mc Graw Hill. ERTHOZ A. et DEBRU C. Anticipation et Prédiction : du geste au voyage mental O Jacob  (2015)

[4] BERTHOZ A. (2020). L’inhibition créatrice. Odile Jacob . Trad Ital. Berthoz A. ( 2021)  L’inhibizione Creativa.Codice .

[5]BERTHOZ ,A. (2013) « La vicariance. Le cerveau créateur de mondes ». O. Jacob. Trad . Codice (2014) TRad “The vicarious Brain”. Harvard Univ Press (2016) BERTHOZ A.et VERDIER F. (2022)  Une Séance de Peinture, entre Cerveau Art et Science. Avec la contribution de Daniel Bennequin et Valérie Hayert . O. Jacob.

[6].BERTHOZ A et OSSOLA C Les libertés de l’improbable. O Jacob 2019

[7] NACCACHE L.(2022) Apologie de la discrétion. .

[8] FLASH T. BERTHOZ A.( Eds) .(2021) Chapitre de D. Bennequin dans ce livre : Space Time Geometries for Motion and Perception in the Brain and the Arts. Springer Nature.  266pp. Flash T, Karklinsky M , Fuchs R  Berthoz A , Bennequin D, Meirovitch Y. Motor Compositionality and Timing: Combined Geometrical and Optimization Approaches. In G. Venture et al. (eds.), Biomechanics of Anthropomorphic Systems,r Springer Nature 2019.

Guy Cheron: Les oscillations cérébrales à la base de la dynamique de l’inconscient. 

Les neurosciences s’accordent aujourd’hui pour prétendre que les oscillations cérébrales constituent un des mécanismes de base du fonctionnement du cerveau. Ces oscillations électriques se retrouvent au sein des différents niveaux d’organisation du cerveau allant du neurone isolé capable de produire à lui seul des oscillations de son potentiel de membrane aux réseaux de neurones richement interconnectés produisant différents types de rythmicités. Au niveau cellulaire ces oscillations peuvent jouer un rôle physiologique sans produire nécessairement des potentiels d’action. Elles accompagnent la plupart des phénomènes physiologiques inconscients et contribuent à l’émergence de la conscience. Ce sont elles qui nous plongent dans le sommeil profond et les rêves et qui contribuent à la dynamique des états mentaux de l’éveil. En revisitant les différentes oscillations cérébrales allant des rythmes lents aux rythmes les plus rapides, il est possible d’imaginer des trajectoires d’actions neuronales prenant naissance dans l’inconscient.   

David Cohen: De l’expérience précoce aux représentations groupales 

A partir d’expériences en psychologie développementale et/ou expérimentale, nous essaierons de formuler, dans une perspective évolutionniste, un modèle Homo Developmentalis structurant les interactions précoces et leur influence sur le développement. Ce modèle nous permettra d’appréhender comment les expériences précoces influent sur la constitution du moi/self (inconscient individuel) et sur les stéréotypes sociaux (inconscient collectif).

Lisa Ouss: Le transfert à l’éclairage des données développementales et des neurosciences des expériences précoces. Implications cliniques.

Si le transfert n’est pas spécifique de de la théorie psychanalytique, il en est un des concepts clef. Cette communication propose une relecture de la notion de transfert à l’éclairage de données développementales et neuroscientifiques. Après un bref rappel de l’histoire et des questions posées par ce concept, nous aborderons les notions d’engramme des expérience précoces au regard des connaissances sur les processus mnésiques, les « completion patterns », et l’énergie libre. Nous soulignerons l’importance des quatre premiers mois de la vie, des notions piagétiennes d’assimilation et accomodation. Nous verrrons comment ces notions nous permettent de mieux comprendre le processus transferentiel, et son utilisation dans la clinique, y compris du très jeune enfant.

Anne Boissel: Que nous apprennent les personnes en état de conscience altérée ?

Les personnes en état de conscience altérée, sont une population méconnue des handicaps acquis lourds. Pourtant depuis une quarantaine d’années, sous l’effet des progrès de la médecine d’urgence et des techniques de réanimation, des pathologies nouvelles ont émergé chez des personnes tombées dans le coma en raison d’une lésion cérébrale acquise qu’elle soit d’origine traumatique (accident de la route du travail, de sport), anoxique (arrêt cardiaque, arrêt respiratoire…), vasculaire. Certains de ces patients ont une sortie de coma difficile, longue et s’éveillent sans donner de signes témoignant qu’ils ont conscience de ce qui se passe autour deux. Le cycle veille sommeil est préservé avec maintien complet ou partiel des fonctions automatiques de l’hypothalamus et du tronc cérébral.
Ces situations sont déroutantes pour tous ceux qui sont au plus près de ses patients, proches et professionnel. Elles provoquent des réactions défensives parfois extrêmes : déshumanisation, maltraitance, projection excessive.
La recherche neuroscientifique est en plein essor sur ces états avec une remise en cause des frontières diagnostiques entre les différents états de conscience altérée. Ainsi il a été montré que 40% des patients diagnostiquée en état végétatif chronique en l’absence d’une évaluation comportementale experte sont en fait des patients en état de conscience minimale (2009, Schnakers et al). Plus récemment, même avec une évaluation comportementale experte, il a été mis en évidence dans plusieurs études que 10 à 30 % des patients diagnostiqués en état végétatif chronique ont à l’imagerie, quelle que soit la technique utilisée, un schéma d’activité cérébrale beaucoup plus riche que prévu et plutôt associé à la conscience minimale ou même à un état conscient (2022, Naccache et al.).
Le concept récent de dissociation motrice cognitive (Cognitive Motor Dissociation ou CMD) permet de rendre compte de ces états. Enfin il est maintenant reconnu dans ces études très fines sur la conscience, que l’expertise des proches, leurs observations et leur connaissance singulière des signaux de communication, ainsi que le contexte affectif, sont des données indispensables afin d’évaluer au mieux le degré de conscience des patients ainsi que leur pronostic. L’implication des proches, familles et professionnels, est donc valorisée de plus en plus dans ce domaine, mais elle ne pourrait se dissocier de la prise en compte des mouvements internes subjectifs lié à la relation avec un être peu répondant et totalement dépendant. C’est ainsi que cette clinique complexe des états de conscience altérée est paradigmatique d’une nécessaire interdisciplinarité entre neurosciences et psychologie clinique.
Nous présenterons les résultats d’une recherche participative sur la vie au quotidien de ces personnes en état de conscience altérée à partir du savoir expérientiel de leurs proches et des professionnels intervenant auprès d’eux.

Frédéric Forest: La psychanalyse appréhendée comme un système réticulaire : une nouvelle approche épistémologique

Notre présentation propose d’enrichir l’approche épistémologique de la psychanalyse en montrant que ses conceptions théoriques ont hérité d’une vision du psychisme appréhendé comme un « système réticulaire ». Un tel système articule trois éléments : des atomes théoriques (neurones, représentations ou signifiants), un flux qui circule entre ces atomes et une fonction de régulation de ces flux. 

L’adoption de ce système a été influencée par des imaginaires techniques et par les sciences connexes à la psychanalyse. Il constitue aussi un élément implicite de continuité entre les élaborations freudiennes et lacaniennes. En outre, il permet de rendre compte de l’efficacité thérapeutique, sous la double image symbolique de la santé mentale synonyme de libre circulation des affects et de libre communication des représentations. Enfin, il permet de pointer des impasses et des réductionnismes théoriques lorsqu’un des éléments du système est réifié (par exemple l’orgone de Reich, etc.).

Appréhender la psychanalyse comme fondée sur un système réticulaire plaide pour placer celle-ci dans le champ scientifique tout en respectant la complexité causale qu’elle propose – et qui participe de son honneur politique – à l’opposé d’interprétations linéaires des phénomènes psychiques.

Jessica Tran The: Les périodes critiques de la plasticité cérébrale : un enjeu clinique pour le dialogue entre psychanalyse et neurosciences

Si la plasticité cérébrale, et notamment le constat que l’expérience s’inscrit sous forme de traces, apparaît comme un point de rencontre majeur entre les neurosciences et la psychanalyse, des recherches neurobiologiques récentes ont montré que cette plasticité des différentes régions cérébrales était délimitée par des fenêtres temporelles précises : les « périodes critiques » de la plasticité. Ces fenêtres temporelles déterminent un moment propice, mais aussi une limite, de la plasticité cérébrale développementale. Il existe ainsi des périodes critiques pour l’apprentissage de la langue maternelle, d’une seconde langue ou de la musique, après lesquelles ces apprentissages deviennent plus difficiles voire impossibles. Or, les recherches sur les périodes critiques peuvent apparaître comme un enjeu majeur pour le dialogue interdisciplinaire, notamment en ce qui concerne le rôle des expériences précoces dans l’étiologie de certaines affections psychopathologiques. Les recherches sur les mécanismes cellulaires et moléculaires à l’origine de l’ouverture et de la fermeture de ces périodes se sont particulièrement développés au cours des dix dernières années. Nous proposerons, à partir de ces travaux, de relire les théories psychanalytiques sur l’étiologie de la psychose, dans une perspective interdisciplinaire entre psychanalyse et neurosciences.

Caitlin Ware: La réserve cognitive et la « langue paternelle » dans la maladie d’Alzheimer

La maladie d’Alzheimer est une pathologie neurodégénérative qui reste énigmatique à cause de sa complexité neurobiologique et ses manifestations cliniques hétérogènes. En outre, chez certains patients, il y a un manque de corrélation entre ce que révèle la neuroimagerie au niveau pathologique et ce que les scores des tests cognitifs montrent aux niveaux des fonctions intellectuelles. Les chercheurs tentent d’expliquer ce phénomène par une « réserve cognitive ou cérébrale », qui permettrait au cerveau de compenser en dépit de la neuropathologie. Or, le bilinguisme a été identifié comme un facteur potentiel de réserve cognitive dans la démence, retardant le développement de la maladie par environ 4 ou 5 ans. Les études montrent des avantages liés au bilinguisme au niveau cognitif et cérébral, révélant que l’utilisation de plusieurs langues renforcerait les fonctions exécutives. Mais aurait-il une autre explication plutôt psychique ? Comment comprendre cette réserve cognitive d’une perspective psychanalytique ? Avec deux études pilotes, nous avons exploré ces questions ainsi que le potentiel thérapeutique de l’apprentissage d’une langue étrangère chez les patients âgées ayant des troubles de mémoire. Nous avons fait passer les tests projectifs et cognitifs à 20 patients avec des troubles cognitifs légers et nous avons trouvé des corrélations entre l’inhibition cognitive sémantique et l’utilisation des processus secondaires. En outre, les passations du T.A.T. en anglais et en français des patients bilingues avec une démence débutante ont révélé des contenus latents différents en fonction de la langue parlée, notamment avec plus d’élaboration des thèmes angoissantes qui étaient évitées en langue maternelle. Nous proposons que ce phénomène témoigne d’une facilité à la sublimation avec l’utilisation d’une langue moins maitrisée. Ainsi nous avons l’hypothèse que l’utilisation d’une deuxième langue non maternelle, une « langue paternelle », permettrait au sujet de garder encore quelques « re-pères » malgré l’égarement provoqué par la maladie.

Sarah Troubé: Les neurosciences peuvent-elles rendre compte des spécificités cliniques de l’angoisse dans la psychose ?

Il existe de nombreux modèles neurocognitifs des principaux symptômes rencontrés dans la schizophrénie : délires, hallucinations, déréalisation, retrait social, bizarreries du contact… Mais peu de travaux confrontent directement ces modèles à la question de l’angoisse dans les psychoses de l’adulte. Or, une des spécificités de l’approche psychanalytique consiste à proposer une distinction et une typologie de différentes modalités d’angoisse, et à dégager des caractéristiques propres aux angoisses psychotiques, marquées notamment par leur caractère archaïque et par la place qu’y tient la menace de néantisation psychique. Les modèles neurobiologiques des psychoses peuvent-ils rendre compte de ces spécificités cliniques ? La prédominance, au sein de ces modèles, des déterminants cognitifs pour rendre compte des symptômes de la schizophrénie a-t-elle fait écran à une étude de l’angoisse, pourtant déterminante dans la rencontre clinique avec des sujets psychotiques ? Nous interrogerons les dialogues possibles entre psychanalyse et neurosciences sur cette question, en interrogeant en particulier le rôle attribué à l’anxiété dans certains modèles développementaux de la schizophrénie, et ses articulations possibles avec les modèles neurocognitifs fondés sur un déficit des mécanismes de prédiction dans les psychoses.

Soizic Gauthier: Quelle expérience du changement de point de vue dans l’empathie? Une étude auprès d’enfants et d’adolescents avec ou sans trouble du neurodéveloppement.

L’empathie est un phénomène complexe, mettant en jeu des mécanismes variés, à l’interaction entre psychanalyse et neurosciences. Pour le psychologue clinicien, c’est également un phénomène essentiel, puisqu’il peut avoir un impact important sur sa pratique clinique et les relations établies avec ses patients. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons mené une recherche mixte auprès de 85 enfants et adolescents présentant un trouble du spectre autistique, un trouble du développement de la coordination, ou un développement typique. Nous avons proposé à ces enfants de participer au paradigme du funambule, développé par A. Berthoz et B. Thirioux. Dans ce paradigme, on demande aux participants d’imiter un personnage virtuel, un funambule, se penchant à droite, à gauche sur son fil, tout en s’imaginant à sa place. Ces enfants et adolescents adoptent-ils le point de vue du funambule ? Lorsque c’est le cas, quel vécu subjectif est associé à ce changement de point de vue ? Que nous apprennent ces résultats sur l’empathie ? Ces questions seront explorées lors de cette présentation.